16
a dit jésus
sans doute les hommes pensent-ils que je suis venu jeter la paix sur le monde
et ils ne savent pas que je suis venu jeter des divisions sur la terre
le feu l’épée la guerre
car cinq ils seront dans une maison
trois seront contre deux et deux contre trois
le père contre le fils et le fils contre le père
et monachos ils se tiendront debout
Mt 10. 34-36 – Lc 12. 51-53
Ce logion confirme la réflexion faite au logion précédent. L’invitation de Jésus pour accéder à une vision nouvelle mène inévitablement à un conflit intérieur, qui ne peut trouver une solution que dans une démarche personnelle et sincère.
Le thème du conflit intérieur est présent dans toutes les traditions religieuses. Il fait l’objet du décor de la Bhagavad Gita. Dans sa connaissance de dharma , Arjuna, l’archer aux valeurs morales élevées, ne peut trouver une solution valable à son conflit intérieur. Krishna, qui personnifie le divin dans l’homme, lui enseigne la voie par laquelle le divin peut se révéler dans chaque être. Dans l’islam nous connaissons la notion de jihad , qui nous est présenté aujourd’hui comme une lutte contre les «incroyants», mais qui dans sa conception originelle référerait à un combat intérieur. C’est également le cas pour les gestes rituels des moines bouddhistes, qui nous sont présentés aujourd’hui comme des moines combattants. Ces rites furent introduits au VI° siècle par Bodhidharma et symbolisent en fait le combat intérieur, que chaque disciple doit mener avec soi-même.
Les facultés exceptionnelles dont témoignait Jésus furent perçues par ses disciples à la lumière de l’histoire biblique. Pour certains il était un prophète, pour d’autres peut-être même le Messie. La raison de sa présence aurait été de rétablir l’ordre, de redonner paix et confiance au peuple juif et de préparer l’avènement du royaume de Dieu. Cette conception de sa personne est un malentendu
La connaissance nouvelle dont il témoigne est dérangeante ! Quiconque reçoit sa parole se voit confronté non seulement aux vérités de la croyance existante, mais également à soi-même, à des valeurs personnelles et par là même à des liens relationnels.
Celui ou celle qui renonce à des valeurs trompeuses, qui se libère de ses attaches relatives, dans ce détachement retrouve une liberté intérieure. Un isolement en est toutefois le prix. La racine du mot monachos est monos , qui signifie seul . Dans cette racine nous reconnaissons le mot moine . Les notions de détachement, liberté et solitude sont toutes présentes dans le mot monachos . Une traduction exacte en est donc plus que problématique… Il représente pourtant une notion essentielle dans le cheminement que nous propose Jésus. Cette notion ne concerne pas un comportement extérieur mais un état d’esprit intérieur. Quiconque désire accéder à l’expérience du lien qui nous unis à l’Être absolu, la source de vie à l’intérieur de nous-mêmes, se voit confronté à des valeurs relatives dont il doit se défaire, afin de se libérer intérieurement et de servir comme sert la graine.
17
a dit jésus
je vous donnerai ce que l’il n’a pas vu
et ce que l’oreille n’a pas entendu
et ce que la main n’a pas touché
et qui n’est pas monté au cur de l’homme
Mt 13. 14-15 – Lc 10. 23-24
1 Cor 2. 9 : mais, comme il est écrit, nous annonçons ce que l’il n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.
Paul apporte ici la preuve qu’il avait une connaissance des paroles de Jésus. Seule la phrase : ce que la main n’a pas touché – parole probablement trop sensuelle à son goût – manque dans sa citation. Vu le rôle que Paul a joué avant sa conversion, en tant que pharisien pur et dur, responsable en plus de la lapidation de Stéphane, il est peu concevable qu’il n’eut pas eu pour le moins partiellement connaissance du discours trop perturbant et donc inacceptable de Jésus. C’est la raison probable pour laquelle il opta, dans la prédication de son évangile, d’ignorer celui de Jésus. En outre il a explicitement admis vouloir méconnaître le Jésus «de chair et de sang» (2 Cor 5.16) et ne reconnaître que «le Christ crucifié et ressuscité». Il fait donc précéder sa citation du logion 17 par les mots : comme il est écrit
Mais des références aux écrits vétérotestamentaires – comme à Is 64. 3-4 – sont fort peu convaincantes.
Ce qui peut être reçu n’appartient ni au domaine du sensoriel ou de l’émotionnel, ni à celui du savoir mental. Il s’agit d’une expérience d’un ordre différent à laquelle la conscience de l’homme peut avoir accès. L’enrichissement, qui fait suite à une intégration du supérieur dans l’inférieur, n’est pourtant pas un évènement spectaculaire, mais une évolution progressive dans la conscience individuelle. Cette expérience est le fruit que le monachos reçoit tout au long de sa démarche libératrice.
18
on dit les disciples à jésus
dis-nous comment sera notre fin
a dit jésus
avez-vous donc dévoilé le commencement
pour que vous vous préoccupiez de la fin
car là où est le commencement là sera la fin
heureux celui qui se tiendra dans le commencement
il connaîtra la fin et ne goûtera pas la mort
Mt 16. 28 – Mc 9. 1 – Lc 9. 27
La question des disciples reflète une inquiétude certaine, qui est également celle de bon nombre de vivants : que sera-t-il après la mort ? La réponse de Jésus n’est pourtant pas révélatrice. Non pas une réalité «post mortem» devrait être l’objet de notre préoccupation, mais bien celle que nous vivons aujourd’hui ! Comment pouvons-nous réaliser ici et maintenant la finalité de notre vie
?
Pour le semeur la finalité s’appelle moisson. Là où il a semé, où s’est réalisée l’unité de la semence et de la bonne terre, là sera aussi la moisson
Ce lieu a une valeur absolue et est donc intemporel . Début et fin sont un , comme sont un le semeur et le moissonneur
(Jn 4. 35-36) La voie de l’homme est celle de la graine. Dans l’unité avec la bonne terre, là où fut son commencement, la graine doit cesser d’être graine, doit «lâcher son petit moi», pour devenir semence : servante anonyme
Celle ou celui qui a reconnu ce substrat absolu de sa vie, la source intemporelle à l’intérieur de chaque être, a également reconnu sa véritable finalité. Ainsi peut se réaliser le retour du fils prodigue dans la maison paternelle, sa réintégration dans l’autorité du père. Dans cette prise de conscience tout souci concernant un avenir éternel est dérisoire
19
a dit jésus
heureux celui qui était déjà avant qu’il ne fût
si vous êtes mes disciples et entendez mes paroles
ces pierres vous serviront
pour vous il y a en effet cinq arbres dans le paradis
qui ne bougent ni l’été ni l’hiver
et leurs feuilles ne tombent pas
celui qui les connaîtra ne goûtera pas la mort
Ce logion confirme d’une façon insolite la réalité absolue à la base de tout être relatif. Comme ce fut le cas du lion au logion 7, nous sommes une nouvelle fois confrontés à une image déroutante. S’agit-il bien d’une parole de Jésus où serait-ce une image fantaisiste provenant du milieu gnostique, responsable de la transmission de cet évangile
? Quoi qu’il en soit nous pouvons toujours tenter de dévoiler le contenu de cette parole particulière.
Dans ce monde relatif tout est continuellement tributaire de la « loi des changements ». Aujourd’hui rien n’est plus tout à fait pareil à hier. De la loi absolue, qui guide l’évolution naturelle, qui conditionne l’harmonie dans la nature, qui fut un jour symbolisée dans l’arbre de la connaissance du bien et du mal, de cette loi aucun Adam ne peut s’octroyer l’autorité. Comme pour la graine, la finalité de l’homme est tout simplement de servir
L’image de la graine nous ramène au commencement. L’entité biologique, appelée homme, fait partie d’un concept de vie absolu et donc intemporel, dont il n’est qu’une expression temporelle. Temporellement nous disposons d’un corps, d’une individualité propre, d’une conscience de notre moi. Cette conscience nous permet d’évaluer notre moi à sa juste valeur, d’en reconnaître la source absolue et de vivre en conséquence le lien qui nous unit à cette source.
L’unité, dans laquelle nous sommes unis à la Vie, transcende tout phénomène relatif par lequel Elle s’exprime
À chaque arbre chaque feuille accomplit sa tache au service de la vie. La mort de la feuille n’entame nullement la vie de l’arbre, mais en sert l’évolution
Une goutte de pluie naquit un jour de l’océan. Elle accomplît sa tâche dans l’harmonie naturelle et retourna enfin vers l’océan
Elle fut océan, devint goutte et redevint océan
L’homme est pourtant tellement plus qu’une feuille, qu’une goutte de pluie
Ses capacités sont tellement plus riches, sa tâche tellement plus élevée. Tout est mis à sa disposition pour vivre la vie en sa plénitude : la motte de terre, une pierre aussi. La motte de terre ne peut devenir fertile que si la goutte de pluie participe à l’harmonie. Qu’eût été aujourd’hui la vie sur terre, si chaque homme eût demeuré dans cette loi et eût apprécié sa finalité à sa juste valeur
? Une réalité paradisiaque sans doute… L’expérience de nos cinq sens, qui nous relient au monde phénoménal – serait-ce là le symbolisme des cinq arbres ? – est tributaire de l’état de la conscience individuelle. De cette conscience la source est élevée au-dessus de tout phénomène de changement ou de précarité
Dans la deuxième ligne de ce logion certains pourraient discerner une allusion au phénomène de réincarnation. L’idée d’avoir demeuré jadis dans un autre corps sur cette terre, une idée qui en soi n’est pas à rejeter d’office, peut-elle toutefois être de quelque opportunité sur la voie de la connaissance de soi
?
20
ont dit les disciples à jésus
dis-nous à quoi est comparable le royaume des cieux
il leur dit
il est comparable à une graine de moutarde
la plus petite de toutes les semences
mais quand elle tombe sur la terre travaillée elle produit une grande tige
et elle est un abri pour les oiseaux du ciel
Mt 13. 31-32 – Mc 4. 30-32 – Lc 13. 18-19
L’expression le royaume des cieux semble être une expression traditionnelle juive, présente également dans les évangiles canoniques. Le discours de Jésus est comme une symphonie, dans laquelle différents thèmes se rappellent régulièrement à notre attention. L’attente de la venue du royaume fait partie intégrante de la croyance juive. Mais les disciples se trouvent confrontés à une conception différente de cette réalité
Pour eux, comme pour nous, l’acceptation de cette conception nouvelle n’est pas évidente ! Un détail non négligeable pourtant : la graine doit tomber sur la terre travaillée
La conscience de l’homme est comme un terroir dont le potentiel est à peine commensurable. L’état dans lequel elle se présentait alors – et aujourd’hui toujours – ne correspond hélas plus à sa pureté originelle. Un savoir prétentieux et des visions hallucinatoires l’ont profondément perturbée. Ce qui fut harmonieux et du le rester, est devenu disharmonieux. De cette pollution l’homme seul est responsable ! Il s’en suit que lui seul – ce qui veut dire chacun pour soi – peut y remédier. À lui revient maintenant la tâche de manier la charrue
La dernière ligne de ce logion illustre de façon imagée notre responsabilité dans cette vie : comme tout ce qui croît et fleurit dans la nature, ainsi nous-mêmes nous avons à servir Sa loi d’harmonie. L’unité de l’inférieur et du supérieur ne peut s’exprimer que par une intégration de valeurs supérieures dans la réalité inférieure.
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