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a dit jésus
venez vers moi car mon joug est efficace
et douce mon autorité
et vous trouverez un repos pour vous-mêmes
Mt 11. 28-30
Un joug est un objet servant à unir l’homme à sa charge, de telle sorte que celle-ci devienne plus facilement transportable. Dans cette image aussi est symbolisée une unité . Dans la conscience d’unité aucune tâche n’est lourde à porter, aucune autorité n’y est contraignante. Là est également l’endroit où se révèle le repos véritable, qui est paix intérieure.
À la réflexion que la racine du mot joug est le sanskrit yug , qui est également la racine de yoga , nous est révélée une relation troublante
La signification profonde de yoga concerne en effet une unité , un lien qui relie , une réalité religieuse
(voir la Bhagavad Gita) Dans l’image du joug se dévoile une conscience religieuse universelle, qui transcende temps et cultures
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ils lui dirent
dis nous qui tu es afin que nous croyions en toi
il leur dit
vous scrutez le visage du ciel et de la terre
et celui qui est devant vous vous ne le reconnaissez pas
et en cet instant vous ne pouvez le sonder
Lc 11. 56 – Mt 16. 1-3 – Jn 14. 8-9
Qui sont ces hommes qui s’adressent ici à Jésus ? De toute évidence ce sont des personnages importants, car ils scrutent le visage du ciel et de la terre . Il s’agit donc de nos scientifiques, de nos savants, ceux qui ont fait preuve d’un savoir certain. Face à lui ils se sentent quelque peu déroutés : ils veulent bien croire en lui mais désirent savoir qui il est , quelle preuve d’autorité il peut leur soumettre. Ils ont en effet leurs propres critères pour juger de l’importance d’une personne, de la valeur de sa connaissance. Celui qui a l’audace de prétendre à un savoir religieux se doit d’être pour le moins théologien
Mais la gnose n’a que faire d’un savant savoir
Par rapport à elle, même un théologien est un profane
Car la gnose est une connaissance qui ne peut être transmise par une autorité religieuse, qui ne peut être enseignée à une université. Avoir accès à la gnose pose d’autres exigences au disciple
Et la première de celles-ci est une disponibilité mentale à relativiser un savoir personnel, qui peut pourtant nous valoir une importance certaine au regard des autres. Toute conviction de détenir une vérité s’oppose à la première invitation que nous propose Jésus : que celui qui cherche ne cesse de chercher
Ces savants sont bien des «chercheurs», mais pas dans la bonne direction
Ils ne se posent pas encore les bonnes questions. Leur conscience n’est pas encore réceptive à la gnose que leur propose Jésus.
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a dit jésus
cherchez et vous trouverez
mais ces choses sur lesquelles vous m’avez interrogé jadis
et que je ne vous ai pas dites alors
maintenant je veux les dire
et elles ne vous intéressent pas
Dans la tradition orientale un guru ne répond à la question de son disciple que lorsqu’il considère que celui-ci est apte à recevoir la réponse. Souvent sa réponse prend la forme d’une nouvelle question, qui doit mener le disciple à la solution de la question initiale. Ainsi chaque vision nouvelle est comme un fruit que le disciple peut cueillir sur sa voie de recherche spirituelle. (voir le logion 21)
Jésus sait que son temps est limité. Ce que jadis il a omis de leur dire, parce qu’ils n’étaient pas aptes à recevoir la réponse, il désire le dire maintenant. Mais leur intérêt fait défaut
La voie de recherche, à laquelle il a invité ses disciples, n’a pas abouti… Il n’est donc pas étonnant que son enseignement, tel qu’il nous est proposé dans cet évangile, n’a pu être transmis par des évangélistes dans sa pureté originelle. L’invitation à un engagement personnel dans une recherche de la juste compréhension de ses paroles fut remplacée par le devoir de croire ce que d’autres avaient cru comprendre et ce que pieusement ils présentaient comme l’unique vérité
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ne donnez pas aux chiens ce qui est pur
pour qu’ils ne le jettent pas sur le fumier
ne jetez pas de perles aux pourceaux
pour qu’ils n’en fassent pas de saletés
Mt 7. 6
Ce qui possède une valeur impérissable se doit d’être traité avec respect et circonspection. La connaissance que Jésus met à notre disposition est d’une valeur supérieure à celle qui peut, au regard des autres, faire de nous un personnage important. La science est un savoir qui peut être appris, peut être transmis à d’autres par le jeu de questions et de réponses. Comme un guru Jésus propose ses réponses sous une forme cachée. Il présente des images que le disciple doit dévoiler lui-même. C’est la voie par laquelle la gnose peut se révéler au disciple comme une connaissance engendrée par une expérience personnelle. La valeur de cette connaissance est telle qu’elle ne convient pas à une consommation de masse. La gnose n’est pas du « fast food » !
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a dit jésus
celui qui cherche trouvera
et à celui qui frappe vers l’intérieur sera ouvert
La source est à notre disposition, la table de la fête du mariage est dressée
seulement nous en ignorons l’endroit. Celui ou celle qui se donne de la peine et ne cesse de chercher trouvera
à condition toutefois de chercher dans la bonne direction : vers l’intérieur ! Mais la recherche intérieure connaît-elle aussi des graduations
Qui flâne dans son petit jardin secret n’est pas nécessairement parvenu à fermer la porte de sa chambre intérieure
À l’intérieur du vide de cette chambre demeure le Père dans le secret
(voir commentaire au logion 53) À tous ceux ou celles, qui portent leur attention vers le silence du vide à l’intérieur de soi , sera ouvert. L’accès au nouveau ne constitue toutefois pas un évènement spectaculaire ! Car la voie qui mène à la source est longue et solitaire, son cheminement est discret
Sa richesse ne se dévoile que pas à pas. Pourtant, plus nous nous approchons de la source, plus l’eau devient limpide
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a dit jésus
si vous avez de l’argent ne le prêtez pas
mais donnez le à celui qui ne vous le rendra pas
Lc 6. 34
Il y a être, il y a avoir
Les conditions de vie, dont l’homme est responsable, sont devenues telles, que posséder de l’argent est nécessaire pour vivre décemment. L’argent n’est pourtant qu’un moyen, pas un but en soi ! Le but est de vivre en harmonie, aussi bien avec soi-même qu’avec les autres. Le mot «solidarité» est présent dans bien de jolis discours. Dans la pratique sa réalisation est entravé par tant d’intérêts personnels ou politiques.
Ce qui était moyen est devenu but
Non plus un savoir économique au service de l’épanouissement de l’homme, mais l’homme en fonction de lois économiques ! Son savoir a déboussolé l’échelle de valeurs
Quelle est la valeur de ce qui m’appartient, de mes mérites, des aumônes que je donne
? En quelle mesure sommes nous, croyants ou non-croyants, sincères et conséquents dans la pratique de jolis principes, contenus dans un message évangélique ou dans quelqu’autre idéologie
?
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a dit jésus
le royaume du père est comparable à une femme
elle prit un peu de levure et le cacha dans de la pâte
et elle en fit de grands pains
celui qui a des oreilles qu’il entende
Mt 11. 33 – Lc 13. 20-21
C’est à l’intérieur de la pâte que la levure est active et qu’elle produit, en harmonie avec la pâte, de grands pains. La participation dans la royauté du Père est une expérience intérieure , qui peut se révéler spontanément dans cette vie, à la condition d’avoir réalisé l’unité de la levure et de la pâte
Comme le geste du semeur, l’action de la main de la femme est nécessaire pour déclencher une évolution naturelle et spontanée. Unir, semence et bonne terre, levure et pâte est semble-t-il chose simple
En réalité elle nécessite un nouvel état d’esprit, car le savoir de l’homme a déboussolé les valeurs
L’intégration de la levure dans la pâte ne fait plus partie de notre préoccupation ! Nous consommons des pains que d’autres ont préparés pour nous avec des pâtes religieusement manipulées ou non
Ainsi nous est proposée la manne, don de Jaweh, ou le pain que nous offre le Père
L’image de la levure est devenue le symbole d’une foi capable de déplacer des montagnes, de l’enthousiasme aussi par lequel la parole évangélique inspirerait le monde. Hélas, trop d’hommes «inspirés» se présentèrent comme boulangers
tandis que la femme, connaissant la valeur de la levure, fut et est toujours trop souvent maintenue à l’écart
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a dit jésus
le royaume du père est comparable à une femme
qui portait une cruche pleine de farine
alors qu’elle allait un long chemin l’oreille de la cruche se brisa
la farine s’écoula derrière elle sur le chemin
comme elle ne le savait pas elle ne pouvait en être peinée
lorsqu’elle eut atteint l’intérieur de sa maison
elle déposa la cruche et vit qu’elle était vide
Dévoiler la connaissance cachée dans une image est un processus mental, qui nécessite intelligence et perspicacité. Il arrive pourtant que l’image transcende toute logique rationnelle. Elle se distingue alors par une beauté troublante, par une poésie volatile
C’est un long chemin que va la femme, un chemin qui dure ce que dure une vie
Un chemin que tous nous avons à parcourir dans le solitude de notre unicité
Ce qui se passe durant son cheminement lui échappe : elle n’est pas consciente de perdre quelque chose. Le vide est la valeur qui, spontanément et sans causer de peine, prend la place de ce qui ne représente qu’une valeur relative
Mais le vide ne fait pas partie de notre échelle de valeurs mentales. Plus nous savons, plus nous sommes importants
ainsi le veut la règle conçue par l’homme !
Diriger l’attention de notre esprit vers le domaine de la réflexion, afin d’y concevoir des idées nouvelles, une vision différente des choses, est certes utile et nécessaire, mais signifie : labourer la terre de notre jardin mental
Celui ou celle qui peut se circoncire en esprit , qui peut laisser son mental s’inonder par le silence du vide , dans lequel il a sa source, reçoit le privilège d’apprécier la valeur unique du vide. Ce qui, dans cet état de conscience d’ unité dans la source , peut être reçu, se manifeste spontanément et sans peine , comme dans la cruche de la femme insouciante la farine cède spontanément sa place au vide
Une juste appréciation de valeurs émane, comme l’eau de la source, du vide, le substrat de la conscience. Cette expérience est le fruit que le monachos reçoit tout au long de son cheminement solitaire et libérateur.
Une coupe ne peut servir que si elle est vide
Par quel bizarre mélange la coupe de notre conscience fut-elle envahie
? Quoi que ce soit, une purification s’impose. Ceci nous rappelle les paroles du logion 28 ou celles du logion 61. À chaque fois nous fut enseigné le besoin de redevenir vides. Ceci nous rappelle aussi en toute subtilité la valeur de la circoncision en esprit
(logion 53)
L’image de l’unité de la graine et de la bonne terre est fascinante par sa simplicité englobant une universalité. Par la subtilité de son contenu à peine perceptible, cette image de la femme portant une cruche respire le sublime
Nous touchons ici à la limite où la parole n’est tout juste pas superflue
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